Neurosciences : Agir sur la fonction cérébrale par neuromodulation

Vincent Cabibel et Stéphane Perrey

EuroMov, Univ. Montpellier, Montpellier, France

vincent.cabibel@umontpellier.fr, stephane.perrey@umontpellier.fr

Article récemment publié dans la revue
« Movement and Sport Sciences – Science et motricité »
www.mov-sport-sciences.org

 

Modifier l’activité neuronale à des fins de réhabilitation est une préoccupation actuelle de nombreux groupes de recherche grâce à des méthodes de neuromodulation dites non-invasives (sans intervention chirurgicale). Ce domaine de recherche a d’abord prospéré après 1985 et la création de la stimulation magnétique transcrânienne (TMS), puis a connu une évolution substantielle dans les années 2000 avec l’avènement de la stimulation électrique transcrânienne par courant continu (tDCS). Rapidement, ces techniques de stimulation de l’activité cérébrale ont laissé entrevoir de nombreuses perspectives thérapeutiques avec en ligne de mire la première cause de handicap physique acquis chez l’adulte : l’accident vasculaire cérébral (AVC).

La problématique complexe de l’AVC réside dans le fonctionnement global du cerveau : outre la zone lésée qui va perdre sa fonctionnalité, c’est l’organisation complète du réseau cérébral qui va être altérée. Le modèle de référence pour décrire cette dégradation repose sur la notion de « compétition interhémisphérique ». Il faut imaginer les deux hémisphères cérébraux engagés dans une lutte, une compétition, avec un état d’équilibre. On imagine alors aisément que si l’un des deux hémisphères vient à être touché, l’équilibre (on parle habituellement de balance) se rompt en faveur de l’hémisphère sain et en défaveur de l’hémisphère lésé. Dans ce modèle, la rupture de cette balance provoque une perte des interactions entre les hémisphères, absolument nécessaires au bon fonctionnement du cerveau. Le but des techniques de neuromodulation est alors de rééquilibrer cette balance en favorisant l’activité du côté lésé ou en prenant le problème dans l’autre sens, à savoir défavoriser le côté sain.

 

Figure descriptive du modèle de « balance interhémisphérique » à l’état d’équilibre, lors d’un AVC et lors d’une intervention par neuromodulation.

 

Une question se pose alors : quelle méthode utiliser pour réaliser cet « équilibrage » ? Faut-il utiliser la tDCS ou la rTMS (dans sa version « répétitive »). Faut-il chercher à favoriser le côté lésé ou défavoriser le côté sain ? Des problèmes méthodologiques non-résolus à l’heure actuelle orientent ces questions : premièrement la rTMS utilisée à haute fréquence (permettant de « favoriser ») possède des effets délétères, et est donc peu utilisée en clinique. De même, certaines limites tendent à écarter la tDCS dans sa modalité « défavorisatrice » laissant uniquement la possibilité de renforcer le côté lésé. Si l’on résume, il apparaît plus pertinent d’utiliser la tDCS sur le côté lésé pour « renforcer » et la rTMS sur le côté sain pour « défavoriser ». La comparaison de ces méthodes est d’autant plus importante que la rTMS est considérée comme le « gold standard » de la neuromodulation en clinique malgré un coût plus élevé et des contraintes d’utilisation. A ce jour, la tDCS se profile comme une méthode alternative, plus simple et peu coûteuse.

La présente étude pilote (réalisée sur 5 sujets sains) avait donc pour objectif d’apporter des éléments de réponse à ces questions en comparant l’efficacité de la tDCS et de la rTMS pour moduler l’activité cérébrale des régions motrices. La tDCS était placée sur le cortex moteur gauche (dominant pour un droitier) et la rTMS sur le cortex moteur droit (non-dominant) avec le même objectif de renforcer l’activité du cortex moteur gauche. Lors de ces deux sessions, des mesures d’excitabilité (les réseaux « + » du cerveau) et d’inhibition (les réseaux « – ») étaient réalisées sur les deux cortex moteurs avant, après et 20 min après les périodes de neuromodulation. Contrairement à nos hypothèses, aucune modification de l’inhibition suite à la neuromodulation n’a été observée. Un des résultats majeurs de cette étude réside dans l’augmentation de l’excitabilité du cortex moteur droit indifférenciée entre les sessions de neuromodulation par tDCS ou rTMS.

Deux éléments de discussion ressortent de cette étude. Premièrement, les résultats obtenus ne coïncident pas avec le concept de balance interhémisphérique puisque l’activité du cortex moteur gauche n’a pas été impactée. Ce concept est d’ailleurs très largement remis en question dans les études récentes qui tendent à s’orienter vers une « coopération » des hémisphères, notamment dans le cadre de la réalisation de tâches motrices. Deuxièmement, une variabilité importante entre les réponses des sujets a été constatée, à la fois avec la rTMS et la tDCS. Cette variabilité est actuellement une problématique centrale dans la communauté travaillant avec la tDCS et les résultats de l’étude tendent à montrer que la rTMS, bien que considérée comme le « gold standard », souffre du même mal. Enfin, si on réunit ces deux problématiques, il semble presque dangereux à l’heure actuelle d’utiliser ces méthodes en routine clinique auprès des patients puisqu’elles peuvent provoquer des effets inattendus voire délétères si on considère les résultats de la présente étude.

 

Mots Clés 

Stimulation transcrânienne, cortex moteur primaire, interactions interhémisphériques, neurophysiologie.

 

Références :

L’article complet :

  • Cabibel V, Muthalib M, Froger J, & Perrey S (2018) Comparison of repeated transcranial stimulation and transcranial direct-current stimulation on primary motor cortex excitability and inhibition: A pilot study. Mov Sport Sci/Sci Mot, doi : 10.1051/sm/2018001.

Pour aller plus loin :

  • Polania R, Nitsche M A, Ruff, C C, (2018) Studying and modifying brain function with non-invasive brain stimulation. Nature Neuroscience, doi : 10.1038/s41593-017-0054-4
  • Hordacre B and Goldsworthy MR (2018) Commentary: Cooperation Not Competition: Bihemispheric tDCS and fMRI Show Role for Ipsilateral Hemisphere in Motor Learning. Front. Hum. Neurosci. 12:97. doi: 10.3389/fnhum.2018.00097

 

Biographie rapide :

 Vincent Cabibel est doctorant au sein du laboratoire EuroMov (Montpellier) et des Cliniques du Souffles (Groupe 5 Santé) par le biais d’une convention CIFRE. Ses recherches portent sur les interactions interhémisphériques et plus généralement sur les déterminants neurophysiologiques de la commande motrice, avec un intérêt actuel pour le cas de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO).

 

Stéphane Perrey est professeur d’université à l’UFR STAPS à l’Université de Montpellier et co-directeur du laboratoire EuroMov. Ses recherches portent sur les liens entre cerveau et mouvement, interrogés par la stimulation transcrânienne ou la spectroscopie dans le proche infrarouge (NIRS), en condition saine ou pathologique.