Biomécanique du saut en Parkour

La modulation de variables spécifiques avant et pendant le décollage permet de gérer la distance du saut en longueur sans élan.

Sidney Grosprêtre

Université de Franche-Comté, Laboratoire C3S
sidney.grospretre@univ-fcomte.fr
Article publié dans la revue « Movement and Sport Sciences – Science et motricité »
 www.mov-sport-sciences.org


crédit photo : Xavier Kupkowski

 

Le Parkour est une activité physique de franchissement d’obstacles principalement pratiquée dans un milieu urbain. Par le biais d’une motricité alliant course, sauts et techniques spécifiques, le traceur (= pratiquant de Parkour) franchit murs, barrières, bancs, rochers dans une recherche d’efficience et de fluidité. Née dans les années 90 dans la banlieue sud de Paris, cette activité made in France ne cesse de se populariser depuis les années 2000 grâce à Internet et les plateformes vidéo ou grâce au cinéma, dans des films comme Yamakasi, Banlieue 13 ou Casino Royal. Mais derrière les prouesses spectaculaires des jeunes athlètes qui percent l’écran se cache un énorme pan méconnu. En effet, le Parkour est également en pleine voie d’institutionnalisation, des clubs et des fédérations naissant partout dans le monde. En France, il existe une fédération nationale de Parkour depuis 2011, qui compte aujourd’hui environ 35 clubs pour 1400 licenciés. Dans ces structures, le Parkour y est enseigné de la manière la plus sûre possible, avec une vraie préparation physique et mentale, loin des cascades que l’on voit à l’écran. Ainsi, l’activité se révèle sous son vrai jour : ouverte à toutes et à tous, quel que soit la condition physique initiale et l’âge. En effet, le Parkour s’enseigne aux plus petits comme aux séniors, par le biais d’un (ré)apprentissage nouveau de l’utilisation de nos quatre membres. L’important est de se dépasser, de développer sa motricité, que l’on franchisse une bordure de trottoir ou un mur de quatre mètres.

Cette motricité si spécifique des traceurs commence à gagner en popularité auprès des chercheurs en science du sport.  En effet, les contraintes liées à l’environnement dans lequel évolue le pratiquant l’oblige à développer des capacités très particulières, que ce soit en termes de force (Grosprêtre et Lepers 2016) ou de contrôle moteur (Maldonado et al., 2015). Par exemple, le manque d’élan dans beaucoup de franchissements contraint le traceur à développer une maitrise du saut en longueur à l’arrêt, qui consiste à se propulser avec les deux jambes simultanément. Communément appelé Standing Long Jump en sciences du sport, la particularité de ce type de saut en Parkour réside aussi dans la prédétermination de la distance à franchir. En effet, contrairement au saut en athlétisme, le traceur ne cherche pas à sauter le plus loin possible mais à se réceptionner sur une zone précise (l’arrête d’un mur par exemple) et à stabiliser cette réception. La manière dont un athlète gère son impulsion pour franchir une distance sous-maximale précise reste alors peu connue.

La présente étude avait donc pour objectif d’apporter des premiers indices sur les différentes variables qui peuvent être modulées avant et pendant le décollage de standing long jumps (SLJ) à plusieurs distances. Dans ces expérimentations, nous avons également voulu connaitre l’évolution de cette capacité en fonction de l’expertise en Parkour. Quatorze jeunes traceurs ont été inclus et divisés en deux groupes : les débutants (BEG) et les experts (EXP). Premièrement, une batterie de sauts verticaux classiques a été utilisée pour caractériser l’efficacité élastique ou l’utilisation des bras des deux groupes de participants. Deuxièmement, des sauts en longueur sans élan (SLJ) ont été exécutés à quatre distances : 70, 80, 90 et 100 % de la distance maximale de chaque participant. La courbe force-temps de réaction au sol (GRF), les déplacements du centre de pression (CoP) ont été mesurés pendant l’impulsion et la préparation des sauts grâce à une plateforme de force. La vitesse et l’angle de décollage, ainsi que la trajectoire aérienne des sauts a été estimée grâce à ces données.

Voir une infographie résumant l’étude (en anglais) :

Pour tous les participants, la vitesse de décollage, la puissance développée et la GRF pendant la préparation du saut (contre-mouvement) a été modulée en fonction de la distance du saut, ce en dépit d’une force verticale maximale identique. Cependant, le groupe EXP a montré une plus grande excursion arrière du CoP, un index de participation des bras plus élevé, un timing d’impulsion plus court, et une meilleure modulation des angles de départ en comparaison au groupe BEG.

Pour conclure, les variables du saut ne semblent pas simplement augmentées ou diminuées en proportion de la distance du saut. Des stratégies motrices différentes peuvent être observées entre différents sauts sous-maximaux et maximaux. Ces changements de stratégie s’observent dans les toutes premières phases précédant l’impulsion finale, du contre-mouvement des jambes au balancement des bras vers l’arrière, car contrairement à une idée reçue la force maximale verticale finale n’est pas modulée en fonction de la distance. Les paramètres estimés grâce à une plateforme de force dans cette première étude nécessitent à présent une confirmation via des méthodes d’analyse plus précises comme la capture de mouvement.

Enfin, il semblerait que ces stratégies évoluent avec l’expérience en Parkour, amenant les traceurs experts certes à de plus grandes performances maximales, mais surtout à une meilleure gradation de la performance sous-maximale. Cette compétence s’avère alors indispensable lorsqu’il s’agit de se réceptionner quelques mètres plus loin sur une barrière de quelques centimètres de large !

 

Mots clés :

biomécanique, saut, parkour, centre de pression, force de réaction au sol

Références

L’article complet ici : Grosprêtre S, Ufland P, Jecker D (2017). The adaptation to standing long jump distance in parkour is performed by the modulation of specific variables prior and during take-off, Mov Sport Sci, DOI: 10.1051/sm/2017022

Grosprêtre, S., & Lepers, R. (2016). Performance characteristics of Parkour practitioners: who are the traceurs? European Journal of Sport Science, 16/5, 526–535.

Maldonado, G., Bitard, H., Watier, B., & Soueres, P. (2015). Evidence of dynamic postural control performance in parkour landing. Computer Methods in Biomechanics and Biomedical Engineering, 18/Suppl 1, 1994–1995.

Biographie de l’auteur du billet

 Sidney Grosprêtre est MCU en STAPS (neurophysiologie) au laboratoire C3S de l’université de Besançon. Ses recherches portent sur la plasticité neuromusculaire aigüe (fatigue) ou chronique (entrainement). Il est spécialiste du Parkour, une activité physique de franchissement d’obstacles, ayant été président de la fédération nationale de Parkour de 2011 à 2017.