L’Activité Physique chez les patients souffrant d’Anorexie Mentale : transformer un problème en solution grâce à l’APA-S

Lilian Fautrelle1,2, Laurence Kern3,4

1, Equipe de recherche Interdisciplinaire en Activité Physique, INU Champollion, Département Staps, Campus de Rodez

2, Laboratoire Toulouse NeuroImaging Center, ToNIC, UMR1214, INSERM, UPS, Toulouse

3, Laboratoire EA 29 31, LINP2-APSA, UFR STAPS, Université Paris Nanterre

4, Laboratoire EA 4430 CLIPSYD, Psychologie Clinique, Psychanalyse et Psychologie du Développement, Université Paris Nanterre

lilian.fautrelle@inserm.fr / lkern@parisnanterre.fr

L’anorexie mentale et le problème de l’activité physique non adaptée

L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire caractérisé par une privation alimentaire stricte et volontaire pendant plusieurs mois, et ce malgré un état de maigreur et un indice de masse corporel faible (IMC <17.5kg.m2). Dans l’ensemble de la société, l’activité physique est largement recommandée pour ses bienfaits biologiques, psychologiques, et sociaux. Dans l’anorexie mentale, le constat est tout autre. En effet, l’activité physique contribue à l’entretien d’un bon état de santé si et seulement si l’organisme est capable, après récupération, de recouvrer un état compatible avec la reproduction d’une performance d’activité physique au moins égale. Or les privations alimentaires induisent une dénutrition qui impacte l’ensemble des systèmes physiologiques (cardiovasculaire, pulmonaire, musculaire, osseux, rénal, urologique, reproductif…). A cela s’ajoute chez ces patients des troubles psychologiques (anxiété, dépression, troubles obsessionnels et compulsifs…) et sociaux (isolement, déscolarisation…). Dans ce cadre, la pratique d’activité physique non adaptée devient problématique et responsable de stress systémiques additionnels renforçant les complications physiologiques, psychologiques et sociales. Plus délétère encore, cette pratique problématique d’activité physique, consciente dans un premier temps, peut par la suite s’automatiser, devenir involontaire, inconsciente et compulsive (nous parlons alors de pratique problématique de l’activité physique, Rizk 2015). In fine dans l’anorexie mentale, les pratiques physiques non adaptées sont un réel frein aux bénéfices de la prise en charge thérapeutique et à la guérison, ce d’autant plus lorsque ces pratiques physiques deviennent compulsives.

 

Cessation forcée de l’activité physique : un levier aux conséquences délétères

En conséquence, un levier d’action pour la communauté médicale est la prescription de l’arrêt forcé de l’activité physique dans les programmes de prise en charge hospitalière. Si cette action couplée à un programme de re-nutrition permet d’impacter favorablement l’IMC, elle semble majorer en parallèle d’autres effets négatifs. Parmi ceux-ci, Beumont (1994) puis Junne (2016) et leurs collègues relatent une augmentation conséquente de l’irritabilité, du stress, de l’anxiété, du sentiment de culpabilité, et de la peur extrême de prise de poids. D’autre part, le recours à l’activité physique par ces patients pour soulager les symptômes dépressifs à lui aussi été mis en lumière (Peñas‐Lledó 2002, Keyes et al. 2015).  En définitive, cette inactivité forcée contrarie les patients et s’élève à l’encontre de l’alliance thérapeutique. De plus, elle est rarement respectée et majore les pratiques d’activité physiques dissimulées réalisées dans des conditions délétères.

 

L’activité physique adaptée à des fins de santé: une solution thérapeutique

À l’inverse, Hausenblas et ses collègues (2008) démontrent que proposer un programme adapté d’activités physiques à ces patients n’a pas d’impact négatif sur leur reprise de poids. Mieux encore, des effets positifs sur la perception du corps, l’humeur, la qualité de vie, la capacité aérobie objective, la masse musculaire, la diminution des syndromes dépressifs et des troubles du comportement alimentaire ont été observés lorsque les programmes étaient encadrés par des professionnels spécialisés à la fois dans l’encadrement des pratiques physiques adaptées et dans ce trouble du comportement alimentaire (Ng et al. 2013, Vancampfort et al. 2014). Un programme d’APA-S encadré par des experts enseignants APA-S pourrait donc, comme pour la population générale, être une source d’effets bénéfiques biologiques, psychologiques et sociaux chez les patients souffrant d’anorexie mentale.

 

APA-S dans l’anorexie mentale : recommandations et bonnes pratiques

Dans cette optique, la Haute Autorité de Santé recommande d’amener ces patients vers une prise de conscience du symptôme de pratique problématique d’activités physiques et de son association avec le fonctionnement anorexique. Un programme d’APA-S est donc pertinent s’il prend en compte cette recommandation et qu’il associe des règles de bonnes pratiques de l’activité physique : nous faisons référence ici aux compétences professionnelles des enseignants APA-S à propos de la préparation à l’effort physique, de la gestion de la charge de l’effort physique (type d’activité, volume, fréquence, intensité, récupération) et de la récupération de l’effort physique spécifiques à l’état de santé de ces patients. Les programmes proposés dans ce cadre doivent nécessairement prendre en compte la tridimensionnalité physiologique, psychologique et sociale lors de la détermination des objectifs. Pour une bonne pratique d’APA-S auprès de patients souffrant d’anorexie mentale, il est recommandé selon Ng et al. (2013), Cook et al. (2016), et Kern et al. (2018) d’avoir une pratique :

– supervisée par un professionnel de l’APA-S

– collective, pratiquée en groupe

– fondée sur la notion de plaisir

– sécurisée (postures, gestion des pressions intra-abdominales…)

– ciblée sur les groupes musculaires maltraitées et/ou délaissées

– intégrant une composante aérobie

– articulée autour de la perception de l’effort et de la fatigue

– support à l’éducation thérapeutique

Extrait de comparaisons avant et après la réalisation du programme d’APA-S PAPAPAM (Kern et Fautrelle 2018) chez 41 patients souffrant d’anorexie mentale : augmentation de l’IMC, amélioration de la qualité de vie et diminution de la dépendance à l’activité physique. 

Conclusions et perspectives

Plutôt que de supprimer de manière autoritaire et unilatérale toute activité physique, il est préférable d’aider les patients souffrant d’anorexie mentale à gérer leur pratique physique en parallèle du plan de prise en charge psychologique et nutritionnel. Il s’agit donc, sous contrôle d’un enseignant professionnel d’APA-S, de leur réapprendre à avoir une activité physique sécuritaire et adéquate pour la préservation de leur santé, source de plaisir et de liens sociaux.  Dans cette logique, nous avons proposé un programme d’APA-S de 8 semaines et son livret support d’éducation aux bonnes pratiques physiques (Kern & Fautrelle, 2018) basés sur des activités de renforcement musculaire spécifique et d’aéro-boxe française. Nos premiers résultats de suivi sur une cinquantaine de patients reportent notamment une augmentation significative de l’IMC, une amélioration de la qualité de vie, et une diminution du trouble anorexique couplée à une diminution de la dépendance à l’activité physique. L’APA-S apparait donc comme un outil de prise en charge pertinent et efficace dans le plan d’intervention thérapeutique nécessairement multidisciplinaire pour guérir l’anorexie mentale. Un essai clinique contrôlé randomisé multicentrique national est actuellement en cours de réalisation pour apporter encore plus d’éléments de preuves directes et de très haut niveau de confiance quant à ces premiers résultats.

 

Mots Clés :

Activités Physiques Adaptées à des fins de Santé, Anorexie Mentale, Pratique Problématique d’Activités Physiques.

 

 Références :

Beumont, P. J., Arthur, B., Russell, J. D., & Touyz, S. W. (1994). Excessive physical activity in dieting disorder patients: Proposals for a supervised exercise program. International Journal of Eating Disorders, 15, 21-36.

Cook, B. J., Wonderlich, S. A., Mitchell, J. E., Thompson, R., Sherman, R., & Mccallum, K. (2016). Exercise in eating disorders treatment: systematic review and proposal of guidelines. Medicine & Science in Sports & Exercise, 48(7), 1408-1414.

Hausenblas, H., Cook, B. J., & Chittester, N. I. (2008). Can exercise treat eating disorders? Exercise, Sport and Science Review, 36, 43-47.

Junne, F., Zipfel, S., Wild, B., Martus, P., Giel, K., Resmark, G., et al. (2016). The relationship of body image with symptoms of depression and anxiety in patients with anorexia nervosa during outpatient psychotherapy: Results of the ANTOP study. Psychotherapy, 53(2), 141.

Kern, L., & Fautrelle, L. (2018). Programme d’Activités Physiques Adaptées à des fins de Santé : Pour des Patients souffrant d’Anorexie Mentale_v1.1. 2019, from https://www.researchgate.net/project/Activite-Physique-Adaptees-et-Anorexie-Mentale

Kern, L., Godart, N., Tailhardat, L., Peguet, A., Grall-Bronnec, M., & Fautrelle, L. (2018). A latent profile analysis revealed different categories of patients in anorexia nervosa: proposal of guidelines in adapted physical activity. Movement & Sport Sciences-Science & Motricité.

Keyes, A., Woerwag‐Mehta, S., Bartholdy, S., Koskina, A., Middleton, B., Connan, F., et al. (2015). Physical activity and the drive to exercise in anorexia nervosa. International Journal of Eating Disorders, 48(1), 46-54.

Ng, L., Ng, D., & Wong, W. (2013). Is supervised exercise training safe in patients with anorexia nervosa? A meta-analysis. Physiotherapy, 99(1), 1-11.

Peñas‐Lledó, E., Vaz Leal, F. J., & Waller, G. (2002). Excessive exercise in anorexia nervosa and bulimia nervosa: relation to eating characteristics and general psychopathology. International Journal of Eating Disorders, 31(4), 370-375.

Rizk, M. (2015). Implication de l’hyperactivité physique dans l’anorexie mentale. Paris Descartes University, Paris.

Vancampfort, D., Vanderlinden, J., De Hert, M., Soundy, A., Adamkova, M., Skjaerven, L. H., et al. (2014). A systematic review of physical therapy interventions for patients with anorexia

 

Les auteurs du billet

Lilian Fautrelle est MCU en STAPS (Neurosciences, Neurophysiologie) à l’INU-JFC d’Albi, affecté au campus de Rodez, et rattaché au laboratoire de recherche INSERM ToNIC (UMR 1214). Il étudie le contrôle du mouvement humain, et plus particulièrement ses propriétés de flexibilité et de plasticité face à différents contextes environnementaux, différents protocoles d’entrainements ou différentes pathologies.

 

Laurence Kern est MCU en STAPS à l’Université de Paris Nanterre (EA 2931 et EA 4430), rattachée aux laboratoires LINP2-APSA et EVACLIPSY. Elle étudie les déterminants psycho-sociologiques des comportements à risque pour la santé en lien avec l’AP (sédentarité, inactivité physique et dépendance) pour des publics à besoin particuliers (anorexie, schizophrénie, personnes âgées) mais aussi en population générale, afin entre autres de créer des prises en charge en APA-S.