L’électromyographie de surface

Sidney Grosprêtre

Université de Franche-Comté, Laboratoire C3S

sidney.grospretre@univ-fcomte.fr

 


Placement des électrodes sur la jambe. Les électrodes sont placées dans le sens des fibres pour les gastrocnémiens (GL et GM), le soléaire (SOL) (à gauche) et le tibial antérieur (TA) (à droite).

 

A l’aube de l’année 1781, lors d’une dissection de grenouille, l’un des  assistants de Luigi Galvani touche par mégarde un nerf avec son scalpel chargé d’électricité. L’observation de la contraction d’un muscle suscita alors un grand étonnement. L’éminent médecin-philosophe italien émit alors l’hypothèse, très controversée par la suite même par le non-moins célèbre physicien Alessandro Volta, d’une électricité d’origine organique provenant du système nerveux pour commander la contraction musculaire. Il s’agissait alors des prémices de l’électrophysiologie. Plus d’un demi-siècle après, Emil du Bois-Reymond, physiologiste allemand, confirme définitivement l’hypothèse de Galvani sur l’électricité animale (Du Bois-Reymond 1849). Il met par ailleurs au point le premier appareil de mesure de l’activité électrique, nommé à juste titre le Galvanomètre. Depuis, les idées ont parcouru du chemin, et Charles Scott Sherrington, prix Nobel 1932 pour ses travaux sur l’électrophysiologie, apporta les premières pierres concernant la circuiterie nerveuse.

Aujourd’hui, la résultante du système nerveux est classiquement enregistrée via la méthode de l’électromyographie de surface. Cette méthode est la seule connue actuellement pour quantifier l’activité électrique musculaire de manière non invasive chez l’homme. Un signal électrique est capté par des électrodes placées sur la peau en regard du ventre musculaire. L’activité électrique ainsi enregistrée représente la sommation des potentiels d’action d’un ensemble d’unités motrices (voir figure ci-dessous). Malgré le fait que le signal de surface puisse représenter un nombre limité d’unités motrices superficielles, Bouisset et Maton en 1972 montrèrent que l’EMG de surface est représentative de l’activité globale du muscle comme de l’état de la commande nerveuse.

 

Illustration de la sommation des potentiels d’actions des différentes unités motrices (UMs) aboutissant au signal EMG recueilli en surface du muscle. Quatre UMs sont enregistrées (UM 1 à 4) avec des fréquences et des amplitudes différentes de décharge. Le signal superposé représente la sommation des signaux de ces quatre UMs. Ainsi, lorsqu’une UM est en phase négative tandis qu’une autre est en phase positive, les signaux vont s’annuler.

 

Les électrodes les plus couramment utilisées sont en chlorure d’argent (Ag-Cl), et munie d’une pastille de gel électrolytique, permettant une meilleure transmission du signal. L’enregistrement est effectué avec deux électrodes placées sur le muscle, dans le sens des fibres. L’enregistrement bipolaire est recommandé par rapport à l’unipolaire (Hugon 1973), permettant l’enregistrement de différences de potentiel entre l’électrode la plus distale et l’électrode la plus proximale. Le bruit enregistré sur une unique électrode peut ainsi être limité. Afin de lisser le signal, il est également recommandé de placer une électrode de référence sur une autre partie du corps, qui permet également d’obtenir une ligne isoélectrique identique entre les signaux de plusieurs muscles.

L’activité EMG représente alors l’activation du muscle enregistré, qu’elle soit volontaire ou évoquée. En effet, l’EMG permet de recueillir des signaux électriques qui proviennent de la commande volontaire comme de stimulations externes, comme la stimulation transcranienne (TMS : voir article ICI) ou la stimulation nerveuse. L’activité EMG enregistrée sur différents muscles permet alors d’évaluer l’implication de ces différents muscles dans une tâche motrice particulière. Grâce à sa résolution temporelle très grande, cette méthode permet de connaitre la chronologie d’activation mais également le niveau d’activation des différents muscles lors d’une tâche spécifique. L’avènement des systèmes d’EMG sans fil (des électrodes placées sur les muscles qui transmettent en WIFI les données au système d’acquisition) permet à présent de mesurer l’implication de différents muscles dans des tâches très complexes sans que le système ne gêne particulièrement l’individu. Ainsi, il est aisé d’analyser les contributions des différents muscles dans une tâche motrice, y compris les muscles antagonistes et les différentes synergies (muscles qui travaillent ensemble dans un même but, voir par exemple les travaux de Ivanenko et al. sur le sujet).

La méthode de l’EMG de surface comporte cependant quelques limites. Cette méthode ne permet pas d’enregistrer les activités électriques des muscles profonds, ce qui représente par ailleurs un critère majeur dans le choix des muscles considérés dans les études. L’utilisation de l’EMG de surface peut également conduire au phénomène d’annulation du signal. En effet, lorsque les phases positives et négatives des potentiels d’actions captés par les électrodes se recouvrent, une partie du signal EMG est perdue, menant alors à la sous-estimation de l’activité électrique musculaire (Farina et coll. 2004, Keenan et coll. 2005). Pour parer à cela, le signal EMG est généralement quantifié après une rectification numérique, qui peut être sa valeur absolue ou un calcul plus approfondi prenant en compte l’intégrale sous le signal, la valeur efficace du signal (Root Mean Square ou RMS, Fuglsang-Frederiksen 2000).

 L’une des limites majeures dans la recherche neuromusculaire résulte également dans le fait que le signal EMG représente la résultante de l’activité de l’ensemble du système neuromusculaire. Or, les modulations de l’activité enregistrée au niveau du muscle peuvent être associées à plusieurs facteurs : une commande corticale différente, des modulations au niveau spinal ou encore des modifications du potentiel de membrane musculaire. Pour investiguer les différents niveaux impliqués dans la modulation de l’activité EMG, il sera alors nécessaire d’utiliser des méthodes complémentaires, comme la stimulation magnétique transcrânienne (TMS : voir article ICI), ou celle du réflexe H pour le niveau spinal (article à venir).

 

Mots clés

 EMG, Electrodes, Activité musculaire, Electromyographie, adaptations nerveuses

 

Références

 

Bouisset S., Maton B., (1972) Quantitative relationship between surface EMG and intramuscular electromyographic activity in voluntary movement, Am J Phys Med. 51(6):285-95

Farina D, Merletti R et Enoka RM (2004) The extraction of neural strategies from the surface EMG, J Appl Physiol 96, 1486-1495

Fuglsang-Freferiksen A (2000), The utility of interference pattern analysis, Muscle Nerve 23: 18-46

Hugon M (1973) Methodology of the Hoffman reflex in man, Human Reflexes, Pathophysiology of Motor Systems, Methodology of Human Reflexes, J.E. Desmedt, ed. Karger, Basel.

Keenan KG, Farina D, Maluf KS, Merletti R et Enoka RM (2005), Influence of amplitude cancellation on the simulated surface electromyogram, J Appl Physiol 98: 120-131

Ivanenko YP, Poppele RE, Lacquaniti F (2004) Five basic muscle activation patterns account for muscle activity during human locomotion. J Physiol. 556(Pt 1):267-82.

 

 

Biographie de l’auteur du billet

 

Sidney Grosprêtre est MCU en STAPS (neurophysiologie) au laboratoire C3S de l’université de Besançon. Ses recherches portent sur la plasticité neuromusculaire aigue (fatigue) ou chronique (entrainement). Il est spécialiste du Parkour, une activité physique de franchissement d’obstacles, ayant été président de la fédération nationale de Parkour de 2011 à 2017.