Les gestes dans l’apprentissage en danse contemporaine, entre mise en mots et mise en corps

Davia BENEDETTI 

Université Pasquale Paoli de Corse – UMR CNRS 6240 LISA
daviaben@yahoo.fr

Article récemment publié dans la revue
« Movement and Sport Sciences – Science et motricité »
www.mov-sport-sciences.org

Cet article (Benedetti, 2018) traite de l’enseignement de la danse contemporaine et particulièrement des gestes qu’il met en jeu : gestes à enseigner, gestes pédagogiques, gestes reproduits par les enseignés et gestes propres à chacun. Il fait suite à une enquête anthropologique menée dans divers écoles et stages de danse, en Corse, de 2007 à 2016, par observation-participante en tant qu’enseignante ou enseignée ou danseuse, par entretiens semi-dirigés et par entretiens d’explicitation auprès d’élèves danseurs. Les situations présentées et les propos cités dans le texte sont tirés de ce travail de terrain.

En danse, les processus de cognition tant rationnels qu’émotionnels sont liés essentiellement à la motricité et nécessitent une éducation sensorimotrice avec réciprocité d’écoute kinesthésique et sensorielle entre les danseurs. Si la verbalisation de connaissances théoriques et la description métaphorique des gestes à enseigner ont leur place dans la transmission de la danse contemporaine, son apprentissage, cependant, réside principalement en l’acquisition d’une connaissance procédurale par expérience directe et observation vicariante. Il fait appel à une mémoire infraconsciente corporelle des gestes et mouvements et à une compréhension corporelle réciproque des élèves et de leur professeur. Il consiste à apprendre non pas à reproduire les gestes d’une technique de danse mais à signifier et interpréter un sens chorégraphique, de manière personnalisée et au moyen des gestes de cette technique. C’est une démarche d’écologisation corporelle, selon un processus neurocognitif prenant en compte les sensations, la sensibilité proprioceptive, les émotions et affects, la conscience kinesthésique et empathique de ses partenaires, et plus globalement le milieu dans lequel évolue le corps dansant.

 Le texte souligne l’importance de la prise en compte des émotions et du sensible pour enseigner et pour apprendre à exécuter des mouvements chorégraphiques. Il met l’accent sur l’action de danser en tant qu’expérience d’interrelations avec les autres et plus largement avec le milieu. Il ouvre ainsi une réflexion sur la corporéité et son pouvoir de signification et d’expression, dans une approche phénoménologique du corps vécu et du corps vivant. Le lecteur est confronté à la problématique de la conscientisation de la décision motrice et de l’expressivité des gestes en danse contemporaine et, par extension, à la conscientisation des comportements. Il est amené à analyser les gestes inhérents à l’enseignement de ce style de danse selon la perspective d’une expérience émotionnelle, connectée sur les ressentis. Sa lecture le conduit à considérer l’apprentissage de la danse contemporaine comme une mise en situation interactive des corps avec le monde. Les gestes enseignés sont reproduits par les élèves selon des variations motrices ne relevant pas toujours d’une prise de conscience en mots et / ou en images mais souvent d’un processus d’émersion préconscient. Le terme anglais awareness sans équivalent en langue française apparait dans le résumé de l’article pour traduire un aspect de ce processus, la sémantique d’awareness étant distincte de celle du terme consciousness signifiant la conscience distanciée et réflexive. Ainsi, le constat de divers modes ou niveaux (?) de conscientisation de l’expérience d’apprentissage en danse contemporaine conduit à dépasser la réduction phénoménologique plaçant la visée intentionnelle de la conscience au fondement du sens donné à la réalité. Il oriente vers les récentes recherches sur le fonctionnement neurocognitif du cerveau et sur l’interaction entre le cerveau vivant et la conscience (Andrieu, 2013).

L’article, enfin, présente des procédés pédagogiques par lesquels les professeurs de danse favorisent l’intentionnalité de danser chez les élèves danseurs et les amènent à nuancer les qualités dynamiques de leurs mouvements en vue de les esthétiser. Cette appréhension des gestes en apprentissage de la danse selon une écologisation corporelle portée par l’intentionnalité d’une production esthétique ouvre sur la philosophie de l’art et de l’esthétique.

Mots Clés

Anthropologie cognitive ; geste ; apprentissage en danse ; connaissance procédurale ; conscience ; écologisation corporelle ;

Références 

Andrieu, Bernard (2013). « Sentir son cerveau ? Les dispositifs neuro-expérientiels en première personne ». In Philosophia Scientiæ 17-2. [En ligne] http://philosophiascientiae.revues.org/860 DOI: 10.4000/philosophiascientiae.860

Benedetti, Davia (2018). Les gestes dans l’apprentissage en danse contemporaine entre mise en mots et mise en corps In Mouvements and Sports Sciences – Science et Motricité [En ligne] https://www.mov-sport-sciences.org/articles/sm/abs/first/sm170005/sm170005.html DOI: 10.1051/sm/2018005

 

 Biographie

Davia Benedetti MCF, anthropologue, mène ses enquêtes de terrain en Corse sur les danses et le corps, depuis 2007, dans l’UMR CNRS 6240 LISA. Son travail centré, au début, sur la dimension identitaire des acteurs sociaux en danse a évolué vers l’étude anthropologique des spatialités et temporalités dans les expériences et pratiques corporelles. Sa compétence de professeur de danse et de danseuse lui permettent de nourrir ses recherche à l’échelle du geste et du vécu proprioceptif.